Mesdames et Messieurs du CTRI, les Gabonaises et les Gabonais considèrent que l’agencement de la République est incompatible à leurs besoins d’organisation politique, qu’il ne répond pas à leurs attentes de citoyens; que l’État est dysfonctionnel : il n’accomplit pas adéquatement les missions régaliennes de gouvernance dans l’intérêt général, qu’il n’est pas protecteur des biens et des personnes et peine à promouvoir le développement économique et social. Par conséquent, ce qui créé, fonde et engage la citoyenneté est en désuétude. Il en résulte un état de nature : chacun fait ce qui convient pour sa satisfaction singulièrement ou celle de ses proches sans égard à tout intérêt pour le bien de la collectivité ou l’harmonie politique de la Nation; la justice sert ceux qui détiennent le pouvoir ou ceux qui disposent d’un réseau relationnel dans la magistrature; des personnes sont détenues des années durant sans jugements, la détention préventive qui est l’exception est devenue la norme, la fonction publique n’existe que de nom est une voie de garage pour verser des salaires à certains.
La décadence de l’État qui entraîne l’altération du lien social et national se manifeste par une montée dissimulée de l’anomie collective. On observe de plus en plus l’indifférence sociale, l’écroulement de l’éthique et du sens de l’honneur, du respect de la vie et de la dignité d’autrui. La perte des valeurs morales, à l’image de la décadence politique et la corruption qui gangrènent le système judiciaire et l’administration publique par le billet du laisser-aller et le laisser-faire, habite les esprits des responsables politiques, administratifs et les plus entreprenants des Gabonais.
La désintégration institutionnelle est pernicieuse. Les insuffisances constatées ne sont pas l’interruption complète du déroulement de la vie quotidienne: quelques élèves vont à l’école, quelques personnes vaquent à leurs occupations, certains offices publics donnent quelques services, un petit groupe de personnes travail fort pendant que certains se prélassent aux frais généraux du trésor public. On a donc l’impression que tout va bien. Il n’en est rien. La ruine de la société se poursuit malicieusement dans les profondeurs de l’irresponsabilité dans la gestion du bien public et de la justice.
Pour contrer la désuétude de l’État pour raviver la société, la réforme institutionnelle du pays est une impérieuse nécessité. En convoquant la contribution des Gabonais à cette réforme, vous souhaitez raviver l’essence de la citoyenneté pour instituer une Nation harmonieuse, créer une autre République et faire instituer un fonctionnement différent de l’État. Vous dites que vous souhaitez engager la rupture avec l’ordre politique ancien et ainsi donner suite à la volonté du Peuple qui appelle à la révolution politique.
Pour autant, on ne saurait ignorer qu’au cours des trente dernières années, quelques dialogues politiques furent convoqués pour changer le fonctionnement politique du pays et sa culture de gouvernance. Les politiques du pouvoir et leurs amis dans l’opposition factice ont apporté des modifications institutionnelles importantes. Mais ces modifications n’ont pas produit le changement de la culture du fonctionnement institutionnel cause de l’affaiblissement de l’État de droit démocratique. Bien au contraire, on note après chaque débat national une détérioration un peu plus accrue du fonctionnement de l’État et une régression avérée de la culture démocratique.
En réalités ces débats étaient l’occasion d’ajustements pour personnaliser l’organisation politique au profit du parti au pouvoir et façonner le fonctionnement de l’État pour le bénéfice de quelques-uns au détriment de toute la Nation.
Dans votre énoncé de volonté de changement, voilà que parmi les premières mesures prises vers un autre Gabon, vous convoquez les personnes auteures de la décrépitude de l’État dans le processus de transition. Ces mêmes personnes qui ont taillé l’organisation politique de la République et le fonctionnement de l’État sur mesure pour personnaliser le pouvoir, personnifier les Institutions et chosifier la République sont aux avant-postes des discussions pour les changements attendus par l’ensemble des Gabonaises et des Gabonais.
Au regard des nominations que vous avez opéré, les appels à la contribution pour les assises attendues de la Conférence nationale ou de la Constituante nous laissent songeurs. On serait tenté de croire que rien de probant ne naitra de l’attelage que vous venez de confectionner pour conduire les changements que vous promettez de produire. On vous donne le bénéfice du doute dans l’espoir que la Constituant que vous érigerez ne sera pas la continuation de l’Assemblée nationale et du Sénat de la Transition et que les résolutions de cette Constituante ne feront pas l’objet de censure de ces Institutions. Sachez que la mutation politique réelle et profonde de notre société n’interviendra pas sans la rupture nette avec l’ordre politique ancien.
Vous voici confrontés à un quadruple défi. Le premier défi est celui de la rupture absolue avec le passé, le deuxième est celui de concevoir des réformes politiques significatives. Le Troisième est d’engager des réformes qui prennent assises dans les réalités sociopolitiques et culturelles de notre pays. Et enfin de compte, de faire en sorte que les résolutions auxquelles aboutira la Constituante soient impersonnelles, appliquées intégralement et intangibilité dans le temps. Pour relever ces défis, nous vous faisons bien humblement quelques propositions de réforme.
Dans nos efforts de réflexion, nous avons porté notre attention sur le citoyen gabonais et le rapport qu’il entretient avec l’État. Nous avons posé le constat qu’un fossé abyssale existe entre les attentes des citoyens et leurs institutions étatiques. Les incohérences de l’organisation politique et du fonctionnement de l’État met à mal le vivre citoyen. De ce fait, puisque c’est la citoyenneté qui fonde l’État pour sa propre réalisation, faut-il, pour résoudre les difficultés politiques que nous connaissons, faire en sorte que les changements à engager conduisent à l’accomplissement effectif de l’exercice de la citoyenneté. Il s’agit de situer le citoyen au cœur de l’organisation et du fonctionnement institutionnel que nous produirons ensemble.
Pour cette finalité, nous énonçons un ensemble de principes qui mettent en exergue la matérialisation de l’exercice de la citoyenneté. Fondés sur un acquis expérientiel et l’influence de la recherche scientifique, ces principes démontrent que lorsque les pratiques politiques et la confection des institutions ont pour objet expresse l’exercice plein et entier de la citoyenneté, l’organisation politique de la République et le fonctionnement de l’État sont la réalisation du Bien Commun.
Notre proposition de réforme suscitera des réserves acerbes et des résistances fidèles. Les acteurs politiques et les universitaires gabonais conçoivent les institutions de notre pays dans le calque du modèle français. Pourtant, ce spécimen est élaboré à partir des enjeux des évolutions sociopolitiques qui nous sont étrangères. Même si notre territoire et son peuple ont connu la domination coloniale de la France, l’histoire française n’est pas la nôtre pour en faire un fondement de notre vivre citoyen. Nous devons inventer notre modèle de gouvernance en tenant compte des contraintes et des défis sociaux que nous vivons. En réalité, nous devons nous regarder et de nous demander : comment sortir de l’impasse politique dans laquelle nous sommes collectivement plongés et que nous ne retombions plus dans un fossé.
Nous vous invitons à voir la crise sociopolitique du Gabon comme un défi civique, un problème engendré par le système politique dont le pays s’est doté, indépendamment de qui a géré quoi et de qui a commis quelle faute. Nous devons simplement considérer que ce système politique n’a pas été construit à partir de la base citoyenne, qu’il s’agit d’une structure qu’on a imposée et que par manque de maturité de culture politique nous l’avons accepté jusqu’à maintenant.