Des milliers de kilomètres carrés de forêt tropicale et d’aires marines, d’immenses gisements miniers et pétroliers, un potentiel agricole fou… Pourtant, le Gabon n’est toujours pas « émergent ». La transition en cours parviendra-t-elle à améliorer la gouvernance du pays et, surtout, à changer en profondeur les mentalités ?
Général deux étoiles, « petit » et confident d’Omar Bongo Ondimba, tombeur de son fils Ali, moitié Fang (par son père, originaire du WoleuNtem), moitié Téké du Haut-Ogooué (par sa mère)… Brice Clotaire Oligui Nguema, le président de la transition gabonaise, incarne à lui seul les six dernières décennies du pays, celles du règne de la dynastie Bongo. Le voilà désormais seul aux manettes, quasi omnipotent, réellement populaire, sans adversaire politique de taille pour l’instant face à lui. Nul besoin d’être devin pour imaginer la suite : il sera candidat à la présidentielle qui sera organisée à la fin de la transition et, sauf coup de théâtre, l’emportera. Sa mission d’ici là ? Mettre en place une nouvelle Constitution, restaurer les institutions, stabiliser le Gabon et répondre aux urgences économiques mais aussi sociales. Ensuite ? C’est une tout autre affaire.
Un « scandale » naturel
Le Gabon est béni des dieux, un « scandale » naturel et géologique qui, s’il est relativement riche à l’échelle de l’Afrique, n’a pas encore exploité le dixième de son potentiel. Avec les moyens colossaux qui ont été dilapidés depuis l’indépendance, et compte tenu d’une si petite population (un peu plus de deux millions d’habitants), dans une région où la concurrence en matière de développement n’est guère féroce, il est (très) loin du statut qui aurait dû être le sien, cette sorte de petit Wakanda auquel chacun d’entre nous est en droit de rêver.
Ici, il y a du pétrole, du gaz, de l’or, du manganèse, du fer, du cuivre, du zinc, des terres rares, des diamants, du niobium, de l’uranium… Des terres cultivables et de l’eau à profusion. Le deuxième poumon de la planète aussi, le bassin du Congo. Des essences de bois précieux. Un cacao parmi les plus délicats sur le marché. Et même des quantités astronomiques de thons, presque autant qu’en Mauritanie ! La quasitotalité des stocks de ce poisson tant recherché est pêchée par des chalutiers espagnols ou français puis directement expédiée en Europe pour être transformée. Rien, pas une miette, pour le Gabon. Tout un symbole…
Culte de l’argent facile, culture d’un autre temps Voilà pour le décor. Question acteurs, le Gabon n’est pas non plus démuni : une élite plutôt bien formée, le plus souvent à l’étranger, des cadres compétents, de la main-d’œuvre disponible si quelqu’un prenait la peine de la former. Le hic, et non des moindres, c’est qu’ici, puisque tout peut devenir facile et qu’il suffit de planter une graine pour pouvoir se nourrir, se retrousser les manches n’est guère une habitude. Les tâches jugées les plus ingrates sont laissées aux étrangers, en général des « Ouest-Afs ».
Ici, le culte de l’argent facile prime. La voie la plus rapide vers l’enrichissement ou la réussite sociale, c’est la combine : surfacturer l’État – véritable sport national –, percevoir des rétrocommissions, profiter de petits privilèges accordés par l’exécutif, caser ses proches dans l’administration à des postes inutiles mais grassement rémunérés, avec voitures et logements de fonction, chauffeurs et billets en business (jadis en première !) offerts.
Ici, les primes en liquide dépassent souvent le salaire. Elles ne sont guère indexées sur la performance, c’est un dû. Pis, ces comportements indélicats viennent de ceux qui sont censés montrer l’exemple. Alors, évidemment, quand un simple makaya arrive à s’extraire de sa condition sociale et à grimper les échelons, il finit par les reproduire de manière pavlovienne, fut-il à l’origine pétri de bonnes intentions. Chacun son tour… C’est sans doute là, dans cette « culture » d’un autre temps et d’un autre monde, qui incite plus à la gabegie qu’au sursaut, que réside le principal défi de Brice Oligui. La pierre d’achoppement, l’obstacle majeur à sa mission : exprimer enfin ce potentiel inouï. Sinon, le Gabon restera le Gabon : un pays de cocagne.