L’origine de cette crise remonte à 2012. KCI s’était alors engagée auprès du gouvernement gabonais pour la réalisation d’un ambitieux programme de 5 000 logements sociaux à Libreville. Cependant, l’espoir d’un développement urbain s’est rapidement mué en un cauchemar juridique. Les autorités gabonaises ont unilatéralement rompu le contrat et ont évincé KCI du territoire, laissant derrière elles un projet inachevé. Saisie, la justice arbitrale de l’Organisation de la Coopération Islamique (OCI) a rendu son verdict en décembre 2016, condamnant le Gabon à verser 36 millions d’euros (23,61 milliards de FCFA) à KCI pour rupture abusive de contrat. Aujourd’hui, avec les intérêts, cette créance dépasse les 40 millions d’euros (26,24 milliards de FCFA). Malgré l’obtention d’un exequatur en France par KCI, Libreville est restée inflexible.
Face à cette inaction, KCI a opté pour une stratégie plus offensive. La société a procédé à la saisie des parts sociales de la SCI 49/51 rue de l’Université, propriétaire de l’hôtel Pozzo di Borgo. Cette action a de facto bloqué toute tentative de vente de ce bien d’exception, dont la valeur est estimée à plus de 200 millions d’euros (131,19 milliards de FCFA). Pour le Gabon, confronté à des difficultés budgétaires, la cession de ce joyau immobilier représentait un levier financier crucial. L’acte de saisie, signé par Frédéric Bérenger, dirigeant de KCI, a ainsi mis un frein aux ambitions de Libreville. Des tentatives de résolution à l’amiable ont eu lieu, notamment des rencontres entre M. Bérenger et le général-président de la transition, Brice Clotaire Oligui Nguema. Bien que les discussions aient été qualifiées de cordiales et que des propositions concrètes aient été évoquées, aucun accord n’a été concrétisé.
Paradoxalement, alors que des acquéreurs de renom, tel que le magnat Bernard Arnault, manifestent leur intérêt pour l’hôtel particulier, le contentieux jette une ombre sur ces potentielles transactions. KCI maintient sa position : le Gabon devra honorer sa dette avant de pouvoir recouvrer la pleine disposition de son bien. Ironiquement, malgré ce bras de fer, KCI n’exclut pas un futur réinvestissement au Gabon, mais seulement dans un contexte de respect des engagements passés. Ce paradoxe illustre la complexité de cette affaire : une entreprise lésée qui croit toujours au potentiel de son ancien partenaire, un État fragilisé incapable de mobiliser son patrimoine sans régler ses dettes, et un bien historique pris en otage d’une créance persistante.
Au-delà du cas spécifique de l’hôtel Pozzo di Borgo, ce feuilleton judiciaire met en lumière les défis liés à la conciliation des ambitions publiques et de la sécurité juridique dans les relations économiques internationales. Il révèle la fragilité des liens entre certains États et leurs partenaires commerciaux lorsque les priorités politiques prennent le pas sur les obligations contractuelles, et que le droit international devient le dernier recours pour les entreprises victimes de manquements. Dans cette bataille feutrée aux allures de partie d’échecs diplomatique, une certitude demeure : l’hôtel Pozzo di Borgo, autrefois havre de luxe et de tranquillité, est désormais le bruyant témoin d’une dette que le Gabon ne peut plus ignorer.
Avec Gabonreview