Par Jérémie Ayong Nkodjie Obame, dirigeant d’entreprise, expert du secteur pétrolier et gazier
Il faut le dire clairement : cette décision est avant tout un acte de souveraineté économique. Pour la première fois de manière aussi affirmée, la sous-région tente de reprendre la maîtrise d’un levier financier stratégique, directement issu de l’exploitation de ses ressources naturelles. Il s’agit de réinternaliser la gestion de fonds qui, bien que liés à nos territoires, échappaient largement au contrôle direct des autorités monétaires et politiques de la CEMAC. C’est une étape logique et légitime dans la volonté de nos États de mieux contrôler les flux financiers liés à leurs ressources.
Cependant, l’enthousiasme légitime suscité par cette affirmation de souveraineté ne doit pas occulter les défis immenses liés à sa mise en œuvre. Car l’enjeu est double. Une gestion opaque ou approximative de ces fonds rapatriés pourrait avoir des effets inverses à ceux escomptés. Sans une gouvernance irréprochable, sans transparence cristalline sur l’affectation et l’utilisation de ces ressources, et sans une concertation approfondie avec les opérateurs concernés, cette mesure risque d’alimenter la défiance. Elle pourrait, paradoxalement, freiner les nouveaux investissements, voire inciter certains acteurs à la prudence, impactant potentiellement les recettes pétrolières à court et moyen terme.
La véritable question qui se pose à nous n’est donc pas tant de savoir si nous devons exercer notre souveraineté – la réponse est évidente – mais bien comment la mettre en œuvre de manière crédible et efficace. La crédibilité est la clé. Elle passe par la mise en place rapide d’une méthode claire, d’un cadre réglementaire et opérationnel précis, et d’une anticipation des questions pratiques et des préoccupations des investisseurs. Il ne suffit pas de décider ; il faut organiser, structurer et communiquer.
L’Afrique centrale ne manque ni de ressources, ni d’une longue expérience dans le secteur pétrolier. Ce qui est nécessaire aujourd’hui, c’est de bâtir un modèle de gestion de ces fonds – et plus largement de la rente pétrolière – qui soit fondé sur la responsabilité, la prévisibilité et la recherche de partenariats stratégiques équilibrés. Un modèle qui défende fermement les intérêts de nos nations tout en offrant aux investisseurs la visibilité et la sécurité nécessaires à leurs engagements de long terme.
Nous sommes sur une ligne de crête. Défendre notre souveraineté sans renoncer à notre attractivité économique est un exercice d’équilibriste exigeant, mais absolument vital pour l’avenir de notre sous-région. C’est le cap à tenir, avec rigueur et vision stratégique.