L’article 66 de la loi sur la profession d’avocat qui dispose qu’il faut avoir dix ans d’exercice au grand tableau pour devenir Bâtonnier et les articles 22 de la loi organique sur l’organisation judiciaire et 64 du Règlement des procédures devant la Cour Constitutionnelle car celles-ci poseraient les conditions d’exercice de la fonction de Bâtonnier semble ne plus suffire au Parquet général de la haute juridiction. Chose qui plonge dans une profonde perplexité.
Que stipule l’article 66 qui pose les conditions d’éligibilité du Bâtonnier ?
Il indique qu’il faut être de nationalité gabonaise inscrite au grand tableau depuis au moins dix ans et n’ayant jamais fait l’objet de sanctions disciplinaires ou de peine d’emprisonnement.
En revanche, les articles 22 sur l’organisation judiciaire et 64 du Règlement de procédure de la Cour Constitutionnelle établissant les critères à remplir pour être apte à plaider devant ces hautes juridictions puisque pour l’article 22, l’avocat devra avoir 10 ans d’exercice au grand tableau et avoir prêté serment devant elle tandis que l’article 64 indique que l’avocat apte à plaider doit totaliser 15 ans d’exercice au grand tableau et n’avoir jamais fait l’objet de sanctions disciplinaires.
Cette double clarification est utile voire même nécessaire pour au moins cette raison :
Au regard de ces deux dispositions, il apparaît de façon très claire que ces deux dernières dispositions ne concernent nullement ni les conditions d’éligibilité du Bâtonnier ni encore moins les conditions d’exercice de la fonction de Bâtonnier lesquelles restent exclusivement régies par la loi sur la profession d’avocat et le Règlement Intérieur du Barreau du Gabon.
Un revirement inédit du ministère public ?
Cette question mérite d’être posée à plus d’un titre car au cours de la précédente audience de lecture des rapports au Conseil d’Etat, les avocats du Bâtonnier Obame Sima ont soulevé l’irrecevabilité des requêtes de leurs adversaires en se fondant sur les conclusions du ministère public exposées dans une des procédures déjà rejetées par le Conseil d’Etat dans lesquelles il avait requis l’irrecevabilité des requêtes au motif qu’il n’existe aucune base légale dans la loi spéciale des avocats pour justifier la saisine de la haute juridiction au sujet de leur contentieux électoral.
Dès lors, après avoir requis l’irrecevabilité des requêtes pour ce motif pertinent puisque c’est à raison que le Parquet général de ladite juridiction relevait que la seule disposition qui donne compétence au Conseil d’Etat est l’article 62 de la loi sur la profession d’avocat or cette disposition ne limite cette saisine qu’aux seules délibérations du Conseil de l’Ordre des Avocats alors que précisément les élections au sein du Barreau relèvent non pas du Conseil de l’Ordre mais de l’assemblée générale des avocats,organe différent de celui-là, comment ce même ministère public, en matière de contentieux électoral des avocats, pourrait-il renoncer à cette irrecevabilité pour solliciter désormais l’inéligibilité du Bâtonnier élu et l’annulation desdites élections ?
Un tel revirement émanant du ministère public, spécialement habilitée de ce genre de cas, ne saurait passer inaperçu et ne peut être considéré comme une simple décision d’espèce.
Selon un Magistrat du tribunal qui a requis l’anonymat : “le Procureur est certes un Magistrat également mais il reste sous l’autorité de la tutelle. Dans cette circonstance, il exécute très souvent les instructions de sa hiérarchie lorsqu’il reçoit des orientations claires et fermes. C’est peut-être le cas en l’espèce. Manifestement ils ne veulent pas du Bâtonnier élu”. Une telle déclaration donne froid dans le dos mais rappelle une récente parution de notre confrère Échos du Nord qui dénonçait déjà l’ingérence de deux ministres dans ce litige qui faisaient pression sur le ministère public afin qu’il modifie ses conclusions. Ceci pourrait donc expliquer cela . Quelle déception !
De l’avis d’un observateur et praticien de la profession, qui avoue n’avoir pas pris part au vote du 6 janvier 2023, se veut rassurant” Si les conclusions du Ministère public sont telles que vous le dites, je suis juridiquement très surpris mais pas inquiet car le siège de la haute Cour ne pourra pas les suivre. Et pour cause,le Barreau du Gabon est ordre professionnel spécial avec une loi spéciale. C’est seulement cette loi spéciale sur laquelle le Conseil d’Etat doit se fonder pour trancher ce litige. On imagine mal une décision d’annulation de nos élections fondées sur la loi sur l’organisation judiciaire ou sur le Règlement de procédure devant la Cour constitutionnelle. Ce serait un scandale juridique de grande ampleur, un fâcheux précédent. S’ils ne veulent pas du Bâtonnier Obame Sima, ils leur faudra trouver autre chose pour ne pas couvrir leur haute juridiction d’opprobre”.
La préoccupation essentielle qui apparaît au travers de ces diverses réflexions est de dire le droit rien que le droit.
La position du ministère public remue énergiquement – et de façon nouvelle – les interrogations suscitées par ce dossier, tant dans son objet que dans son articulation. À l’heure de l’avènement tant vanté d’une justice qui ne souffre d’aucune ingérence , il est possible d’écrire que le 21 avril 2023 fera date.