La crise a éclaté au grand jour le 16 décembre 2024, lorsque les dirigeants de la CEMAC se sont réunis en sommet extraordinaire à Yaoundé. Face à la diminution inquiétante de leurs réserves de change (Les réserves de change de la CEMAC, qui permettaient de couvrir 2,3 mois d’importations en 2016 et avaient atteint 4,6 mois en 2023, sont de nouveau en déclin depuis 2024), ils ont adopté des mesures drastiques ciblant principalement les entreprises extractives, un secteur clé pour l’économie de la région. L’objectif était clair : forcer un rapatriement plus rapide des devises étrangères.
Cette initiative faisait écho aux recommandations du FMI, qui avait exhorté les États de la CEMAC à renforcer leur réglementation des changes et à insister sur le rapatriement des fonds par les opérateurs économiques. Les entreprises extractives étaient particulièrement visées, avec l’obligation de signer, avant le 30 avril 2025, des conventions de compte séquestre pour les fonds destinés à la restauration des sites d’exploitation.
Le ministre de l’Économie, Mark-Alexandre Doumba, avait rapidement mis en œuvre cette décision en lançant, le 29 janvier 2025 à Libreville, les travaux sur le rapatriement des Fonds de Remise en État des Sites pétroliers (RES). Cette réunion à la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC) avait réuni l’ensemble des acteurs concernés, y compris un représentant de la Chambre de Commerce des États-Unis, soulignant l’importance des enjeux pour les investisseurs internationaux.
Cependant, cette tentative de la CEMAC de reprendre le contrôle de ses réserves de change se heurte désormais à une forte opposition de la part des États-Unis. Dans un contexte de rivalités commerciales internationales, l’administration américaine, sous la présidence de Donald Trump, semble déterminée à exercer une pression maximale sur la région. Après avoir déjà suspendu son aide au développement aux pays étranger, Washington menace désormais de bloquer tout financement du FMI aux États membres de la CEMAC tant qu’une clarification ne sera pas apportée concernant la comptabilisation de leurs réserves brutes de change.
Cette menace a pris forme avec la présentation, le 25 mars 2025 à la Chambre des Représentants, d’un projet de loi intitulé « Loi sur l’exploitation et la manipulation des sociétés américaines en Afrique centrale » ou « Loi CEMAC ». Ce texte, initié par le représentant Huizenga, conditionne le maintien du soutien américain au FMI pour les pays de la CEMAC à une décision du Secrétaire au Trésor, en coordination avec le Directeur exécutif des États-Unis au FMI et le Secrétaire d’État. Cette décision sera prise une fois que le FMI aura publiquement clarifié que les fonds de restauration des sites pétroliers ne peuvent être considérés comme des réserves de change brutes.
Bien que le projet de loi ne fixe pas de date limite explicite pour cette clarification, il stipule clairement que tant que cette décision n’est pas prise, les États-Unis s’opposeront à toute action du FMI concernant les pays de la CEMAC. Les sanctions prévues sont sévères : les États-Unis ne voteront pas en faveur de l’approbation d’une quelconque action du FMI concernant un État membre de la CEMAC. De plus, ils s’opposeront à toute proposition visant à augmenter la quote-part au FMI de ces États ou à modifier la politique d’accès exceptionnel du FMI en leur faveur.
Le Congrès américain, dans les motifs de ce projet de loi, exprime de sérieuses préoccupations concernant la réglementation de la BEAC. Il estime notamment que cette réglementation, qui impose aux entreprises extractives de rapatrier les fonds de restauration, pourrait avoir un impact négatif sur les investissements dans le secteur pétrolier et gazier de la région. Les législateurs américains soulignent également que les fonds de restauration sont spécifiquement destinés à la réhabilitation des sites et ne répondent donc pas aux critères du FMI pour être considérés comme des réserves de change.
Le projet de loi américain stipule clairement que la politique des États-Unis est que les fonds versés à la BEAC pour la restauration des sites ne sont pas admissibles à être comptabilisés dans les réserves de change brutes des États membres de la CEMAC. Il exige que le FMI clarifie publiquement cette position.
Cette confrontation met la CEMAC dans une situation délicate. La région, déjà confrontée à des difficultés économiques, pourrait voir son accès aux financements internationaux compromis, ce qui aggraverait la crise de ses réserves de change. Les prochains mois seront cruciaux pour déterminer comment cette crise sera résolue et quelles en seront les conséquences à long terme, avec la menace d’un isolement financier progressif si le FMI ne se plie pas aux exigences américaines. Le Secrétaire au Trésor américain devra également fournir un rapport dans les 30 jours suivant sa décision (ou dans les 180 jours suivant la promulgation de la loi si aucune décision n’est prise), détaillant les mesures prises pour obtenir cette clarification du FMI.