“S’agissant de cette grève des magistrats, déclenchée depuis le mois de décembre 2022, aujourd’hui nous sommes au mois d’avril, la grève est toujours en cours. Et malheureusement, nous ne voyons pas toujours des signaux qui pourraient nous amener à penser que cette grève pourrait-être levée demain, dans deux jours ou dans une semaine. Il n’y a aucun signe concret.“ regrette le président de SOS Prisonniers.
“Vous savez qu’un pays ne peut pas fonctionner sans la Justice”
“Donc c’est avec beaucoup de peine et de tristesse que nous subissons cette grève, au niveau où à la prison centrale de Libreville la surpopulation carcérale bat son plein. Si en situation normale quand il n’y a pas de grève, on parle de surpopulation carcérale, imaginez-vous une seule seconde après une grève de quatre mois, trois mois, cinq mois, quel serait l’effectif à la prison ? En date du 27 mars dernier nous avons pu avoir les chiffres de la population carcérale, les chiffres étaient de trois mille huit cent quatre-vingts détenus parmi ces chiffres, seuls neuf-cent-quarante-trois étaient déjà jugés contre deux mille neuf cent trente-six prévenus qui sont en attente de jugement. Voyez-vous, les conséquences de cette grève sont très graves, pas seulement dans le domaine carcéral, mais à tous les niveaux. Vous savez qu’un pays ne peut pas fonctionner sans la Justice. Ça veut dire que même en matière civile, en matière de succession, ceux qui ont perdu des parents depuis le mois de décembre, n’ont pas encore pu obtenir un jugement d’homologation du Conseil successoral. Cela signifie que si votre parent est décédé et qu’il avait de l’argent en banque et que c’est avec cet argent que l’on doit payer la scolarité de ses enfants, aujourd’hui on ne peut utiliser cet argent parce qu’il faut passer d’abord par le tribunal. Si vous en tant que bailleur vous avez un locataire qui ne paie pas son loyer depuis deux mois, vous ne pouvez pas entamer une procédure d’expulsion. Tout ceci parce que le tribunal ne fonctionne pas suite à la grève des magistrats.”, a-t-il déploré.
“Depuis plusieurs mois les droits de l’Homme sont violés chaque jour”
“Et face à ses conséquences, on constate que les autorités ne prennent apparemment pas ce problème à bras-le-corps. C’est vraiment triste et ça fait mal en tant que gabonais de voir que la Justice ne fonctionne pas dans notre pays depuis plusieurs mois. Et nous n’avons pas d’informations concrètes sur les revendications et les avancées. C’est vrai que SOS Prisonniers l’avait dit dans une de ses publications, le projet de loi portant statut des magistrats avait été adopté en Conseil des ministres depuis le mois de février dernier et que les magistrats ont pu obtenir des véhicules de fonction qui étaient également inscrits dans leur cahier de revendications. Mais lors de la dernière assemblée générale des magistrats, ils ont réitéré que le point principal de leur revendication porte sur l’adoption de leur statut de magistrat qui a déjà été adopté en Conseil des ministres. Maintenant nous ne savons pas pourquoi jusqu’à ce jour, ce projet de loi n’est pas adopté au niveau de l’Assemblée nationale et du Sénat. Nous interpellons le Premier ministre, Alain-Claude Bilie-By-Nze, parce qu’il est le chef de l’administration gabonaise et il y a une administration qui ne fonctionne pas depuis plusieurs mois. Depuis plusieurs mois les droits de l’Homme sont violés chaque jour, les délais de la garde à vue sont violés. Moi je vous invite un jour à venir au tribunal, un lundi entre 9 heures et 12 heures vous allez voir combien de procédures sont déférées au parquet. Il n’y a même plus de place dans la salle d’audience pour s’asseoir parce que les magistrats font désormais les défèrements une fois par semaine.”, affirme Lionel Ella Engonga.
“comment des magistrats qui sont en grève continuent à envoyer des gens en prison ?”
“Donc nous interpellons vraiment le Premier ministre que ce dernier prenne ce problème à bras-le -corps. Le gouvernement doit dire ce qu’il est capable de donner concrètement aux magistrats dans leurs revendications et ce qu’il ne peut pas faire. Lorsqu’un syndicat rentre en grève il sait qu’il ne peut pas obtenir satisfaction de tous les points mentionnés dans son cahier de charges. Mais y a des points focaux sur lesquels il souhaite obtenir gain de cause. On parle beaucoup des primes que les magistrats auraient revendiquées. S’il y a peut-être trois ou quatre primes, le gouvernement peut dire aux magistrats qu’il peut satisfaire à une ou deux primes et ensuite eux ils doivent le comprendre. Car ils savent qu’ils ne peuvent pas tout obtenir. Mais nous sommes vraiment dépassés par ce silence des autorités. Les droits de l’Homme sont violés, les délais de détention préventive sont violés, les délais de garde à vue violés, le droit à l’accès à la Justice violé. Mais également, nous ne comprenons pas comment des magistrats qui sont en grève continuent à envoyer des gens en prison alors que ces personnes là ne seront pas jugés rapidement. Donc à la limite nous demandons aux magistrats de mettre ces personnes détendues en liberté provisoire pour ceux qui sont en attente de jugement en attendant que la situation revienne à la normale et ils seront jugés. C’est ce que dit la loi, le principe c’est la liberté, la détention c’est l’exception. Mais malheureusement dans la pratique nous avons plutôt l’impression que c’est le contraire, le principe devient la détention et la liberté l’exception. Par exemple sur dix procédures qui peuvent être déférées au parquet, sept peuvent aller à la prison centrale, les trois autres en liberté. Ce constitue une violation des droits de l’Homme. Et dernièrement le secrétaire permanent du Conseil supérieur de la magistrature Gilbert Ngoulakia qui avait invité à un désengorgement des prisons car lui-même Il a reconnu en tant que haut magistrat, que cette grève a des conséquences néfastes au niveau de l’univers carcéral. Moi je ne vous parle que de la prison de Libreville mais quelle est la situation à l’intérieur du pays ?”, a déclaré le président de SOS Prisonniers.
“Le gouvernement doit dire la vérité aux magistrats”
“Donc c’est pour cela que nous interpellons encore une fois le Premier ministre, le chef de l’administration, et pas des moindres de l’administration judiciaire qui ne fonctionne pas depuis plusieurs mois. Il est temps de prendre ce problème à bras-le-corps, le gouvernement doit dire la vérité aux magistrats sur ce qu’il peut faire et ne peut pas faire au sujet de leurs revendications. Ce afin que tout le monde puisse mettre de l’eau dans son vin et que le pays avance. Cette grève ne profite même pas à notre pays, parce que imaginez-vous pour un investisseur, un pays où la justice ne travaille pas depuis plusieurs mois : quelle est la confiance qu’il peut avoir pour investir au Gabon ?”, a-t-il conclu.