A chaque période de son histoire depuis le retour du multipartisme, lorsque le Gabon est confronté à une crise majeure mettant en péril les fondamentaux de son vivre-ensemble, le corps social s’est toujours retrouvé autour d’une table pour trouver une voie de sortie comme ce fut le cas pour la première fois en 1990 avec la conférence nationale qui conduisit au retour du multipartisme. Mais tout avait commencé dix ans avant. Le Morena, alors un mouvement politique clandestin, dirigé par Simon Oyono-Aba’a, publia le Livre blanc, distribué sous le manteau pour dénoncer le parti unique, le PDG, suivie d’une marche anti-gouvernementale à la Gare routière de Libreville réprimée par les forces de défense et de sécurité. C’était le 1er décembre 1981. N’empêche, Omar Bongo face à la contestation de la rue et de l’opposition et de la menace persistance d’une guerre civile, fut contrait de discuter avec ses adversaires et d’accepter le retour de la démocratie avec la tenue d’une élection présidentielle en 1993. Le régime d’Omar Bongo était préservé, et la paix sociale également, tandis que l’opposition mit de l’eau dans son vin en attendant de remporter la première élection présidentielle post-monopartisme.
Pour autant, en 1993, c’est encore la chienlit avec les résultats de la présidentielle qui donnent au premier tour Omar Bongo vainqueur (51,20%) face à son principale adversaire, le père Paul Mba Abessole (26,50%). Bien entendu, la rue conteste ces chiffres. La contestation tourne alors à l’affrontement entre les partisans du père Paul Mba Abessole et la grande muette restée fidèle au régime. Les chars sont dehors, une radio de l’opposition est même bombardée au canon. Malgré la mise en place d’un couvre-feu, et une répression féroce, le mécontentement économique, politique et social ne faiblit pas et la situation est devenue ingérable pour le régime. Il aura fallu la paix des braves lancée par l’opposant Pierre-Louis Agondjo Okawe, leader du Parti gabonais du progrès pour éviter au Gabon une guerre civile (une manœuvre politique de Pierre-Louis Agondjo Okawe pour faire de l’ombre au principal opposant d’Omar Bongo, le père Paul Mba Abessole ? L’histoire jugera). En 1994, sont alors signés les accords de Paris qui aboutissent à la formation d’un gouvernement national qui enregistre l’entrée de plusieurs membres de l’opposition. Le régime et la paix sociale sont sauvés, seul grand perdant de ce dialogue politique : l’opposition. On se souviendra d’ailleurs de cette fameuse réponse de l’opposant père Paul Mba Abessole, interrogé par un journaliste sur son sentiment au sortir de la cérémonie de la signature des accords de Paris : « Je ne ressens rien. Ni chaud ni froid. » Face à une opposition désormais affaiblit et une population esseulée, Omar Bongo sera déclaré vainqueur à la présidentielle de 1988 avec 66,99% des votes devant le bruyant opposant rentré d’exil du Sénégal, Pierre Mamboundou qui récolte 16,50% des voix. Mais cette fois-ci, contrairement à la présidentielle de 1993, elle ne sera pas suivie d’émeute.
En 2005, c’est à nouveau l’escalade avec les résultats de la présidentielle qui donnent une fois encore Omar Bongo vainqueur avec 79,18% des voix, largement devant son pugnace adversaire Pierre Mamboundou qui lui enregistre 13,61% des votes. Alors qu’il proteste la victoire d’Omar Bongo, le siège de sa formation politique est saccagé, mis à sac par des éléments encagoulés de l’armée et échappe de peu à un assassinat, avant de trouver refuge à l’ambassade d’Afrique du Sud à Libreville. Les accords d’Arambo en 2006 entre le gouvernement et l’opposition viendront mettre fin aux tensions politiques avec une réforme du système électorale pour des élections transparentes.
Omar Bongo décède en 2009, son fils Ali Bongo Ondimba lui succède à la suite d’une élection présidentielle contestée par l’opposition, notamment son principal adversaire André Mba Obame et des violences post-électorales. Malgré la contestation de la rue, et l’appel à un dialogue national inclusif de son adversaire numéro un de l’époque, Ali Bongo refusera de rencontrer l’opposition afin de parvenir à un apaisement des tensions politiques et sociales.
Il faudra attendre 2016 avec les violences post-électorales et le bombardement du quartier général de l’opposant Jean Ping déclaré perdant au premier tour, sur le fil avec 48,23%, derrière Ali Bongo avec 59,46 % des votants. Ayant retenu la leçon, de la participation de l’opposition aux accords de paris, Jean Ping refusera de participer au dialogue national d’Agondjé qui se déroule pendant un mois en 2017 et aboutisse à une réforme de la constitution révenant pratiquement aux mêmes standards que la loi fondamentale de 1991, née de la conférence nationale de 1990. L’opposition jubile, avec la mise en place d’une nouvelle constitution capable de conduire à une alternance démocratique au sommet de l’Etat. Rendez-vous est donc pris pour l’élection présidentielle de 2023.
Mais contre tout attente, à la veille de la présidentielle du 26 août 2023, le gouvernement appelle l’ensemble de la classe politique à un nouveau dialogue pour des élections apaisées. L’opposition sans la participation de Jean Ping, croit d’abord à un coming out d’Ali Bongo résolu à mettre fin au cycle des violences post-électorales à travers la tenue d’une élection présidentielle véritablement transparentes, en donnant son accord à sa participation avant de rebrousser chemin. Alexandre Barro Chambrier, Paulette Missambo, ou encore Mike Jocktane vont finalement dénoncer un dialogue politique fait pour tailler sur mesure une loi électorale pour asseoir la victoire d’Ali Bongo et du PDG aux élections générales. La suite elle est connue. Les forces de défense et de sécurité vont renverser Ali Bongo le 30 août dernier après la publication des résultats donnant le locataire du Palais Rénovation vainqueur avec un score de 64,27% contre le candidat de l’une des principales coalitions de l’opposition, Albert Ondo Ossa, qui comptabilise 30,77% des voix.
Les militaires dans le chronogramme de la transition devant aboutir à une transmission du pouvoir au civil, tiennent un dialogue national du 2 au 30 avril qui devra aboutir à l’écriture d’une nouvelle constitution. Cependant, si Ali Bongo est tombé suite au coup d’Etat du 30 août dernier, une interrogation, voire une inquiétude demeure : le système des Bongo va-t-il survivre au dialogue national. Le système des Bongo va-t-il encore une énième fois galvauder ce énième dialogue national ?