Privat Ngomo est le leader du mouvement NewPower, créé en août 2020, qui se définit comme foncièrement souverainiste, ouvertement anti-françafricain et fondamentalement néopanafricaniste. Pour avoir interpellé publiquement la France, lors de l’Opération Lumumba du 12 juillet 2019, exécutée devant la façade de l’ambassade de France au Gabon, il a été injustement incarcéré pendant 10 longs mois à la prison centrale. Libéré provisoirement et sans procès, il a poursuivi son combat sans renoncer à ses profondes convictions.
Aujourd’hui, il est le porte-parole de la Fédération des Mouvements Citoyens et Anti-françafricains du Gabon (FMCAG) qui s’oppose à la venue du président Français Emmanuel Macron au Gabon, le 1er et 02 mars 2023.
QUE REPROCHEZ-VOUS CONCRETEMENT A LA VENUE DU PRESIDENT FRANÇAIS EMMANUEL MACRON EN MARS PROCHAIN À LIBREVILLE DANS LE CADRE DU ONE FOREST SUMMIT ?
La vraie question serait plutôt «pourquoi maintenant cette visite du président français au Gabon ?» au moment où Emmanuel Macron entame un second mandat. Ali Bongo était-il infréquentable et sulfureux pour celui qui devint président de la République française en 2017, pendant son premier mandat ? Nous voulons ici rappeler qu’à la suite de la violente crise postéectorale qui succéda à la fraude et au massacre perpétrés le 31 août 2016, au quartier général de Jean Ping qui fut pourtant le véritable vainqueur de la dernière élection présidentielle, Emmanuel Macron, alors candidat à l’élection présidentielle de mai 2017, s’exprima sur le sujet en se réservant d’avoir un jugement circonstancié quand il disposera de tous les tenants et aboutissants de l’affaire. Elu président de la France, il put avoir toutes les informations relatives à la question lancinante gabonaise. Mais comment a-t-il agi ?(1) Il a récusé le rapport final de la mission d’observation électorale de l’Union Européenne qui remettait en cause la victoire d’Ali Bongo. Il a choisi de soutenir la dictature assassine du despote gabonais et fermer les yeux sur la fraude électorale et les dizaines de morts tombés lors de la répression. (2) Il a donc refusé de frapper de sanctions personnelles les auteurs gabonais du putsch militaro-électoral comme le recommandait vivement le rapport de ladite commission. Mieux (3) il a fortement suggéré à l’opposition gabonaise de participer aux élections générales de 2018, envoyant clairement ainsi le message que la France reconnaissait le pouvoir inique et usurpateur d’Ali Bongo Ondimba. Enfin, (4) le président français a serré la main du dictateur gabonais lors de leurs différentes rencontres internationales et l’a même invité à l’Elysée le 12 novembre 2021. Cette attitude du président français montre qu’il a clairement fait le choix du régime oppresseur gabonais contre l’intérêt des peuples du Gabon. Si les forêts gabonaises comptent bien plus aux yeux du président Emmanuel Macron que la vie et le bien-être des populations gabonaises précarisées dans un pays immensément riche, vous comprenez volontiers que sa venue au Gabon, pour le One Forest Summit, enchantera certes la canopée, mais certainement pas les citoyens gabonais.
NE PENSEZ-VOUS PAS AU CONTRAIRE QUE LA PRESENCE DE MACRON EN MARS PROCHAIN EST UNE OPPORTUNITE POUR LA SOCIETE CIVILE ET L’OPPOSITION DE DISCUTER DES VOIES ET MOYENS D’ORGANISER DES ELECTIONS PLUS LIBRES ET DONC CREDIBLES ?
Nous allons être clair et parler sans langue de bois. Depuis 1993, cette date des premières élections présidentielles sous l’ère renaissante du multipartisme survenu en 1990, la France a toujours été associée d’une manière ou d’une autre à la tenue d’élections libres et crédibles. Pourtant, depuis cette date, le peuple gabonais n’a jamais pu avoir une élection apaisée et transparente où l’élu des Gabonais accède dans le calme et l’allégresse à la prestigieuse fonction présidentielle comme en France. En trente ans de pratique électorale la classe politique dirigeante du Gabon et la France, comme tutrice, ont lamentablement échoué. C’est factuel et il convient de le noter. Par ailleurs, l’attitude du président français Emmanuel Macron face à la dernière élection présidentielle d’août 2016 n’augure rien de bon lorsque l’on sait que les intérêts supérieurs de la France commandent à ce dernier de toujours soutenir les dictateurs françafricains quand ceux-ci exécutent des putschs militaro-électoraux ou des troisièmes mandats illégitimes comme vu au Tchad (23 avril 2021), en Guinée-Conakry (18 octobre 2020) et en Côte d’ivoire (31 octobre 2020). A partir d’août 2023, la classe politique gabonaise est parfaitement capable d’organiser des élections générales libres et crédibles sans le tutorat français. Nous nous indignons face à cette infantilisation gabonaise doublée d’un paternalisme condescendant français qui laisse entendre que sans la patrie de Charles de Gaule, les Gabonais ne peuvent se prendre en main. C’est en substance ce que votre question suggère de manière subliminale. Sachez qu’une nouvelle génération gabonaise décomplexée, consciente et compétente entend prendre son destin en main comme les jeunesses du Mali, du Burkina-Faso et du Centrafrique.
NE CRAIGNEZ-VOUS PAS A TRAVERS VOTRE ACTION D’ETRE TRAITE D’ANTI-IMPERIALISTE FRANÇAIS ?
Mais nous acceptons volontiers l’épithète d’antiimpérialiste français et nous l’assumons totalement car c’est par cet état d’esprit que nous avançons vers la véritabe indépendance du Gabon et la souveraineté pleine et entière du peuple gabonais autodéterminée. La France est «un empire qui ne veut pas mourir» et qui conserve sous des formes, certes plus édulcorées, le même paradigme de domination des peuples, de prédation des richesses naturelles et finalement de spoliation et d’appauvrissement des populations africaines. Comment expliquez-vous le paradoxe gabonais où, un pays extrêmement riche de ses ressources naturelles, doté d’une faible population et qui a une coopération politique et économique de plus d’un demi-siècle avec la 5ème ou 6ème puissance mondiale (la France) n’arrive pas à se hisser au niveau de nations prospères comme le Qatar, a Norvège, la Suisse ou la Corée du Sud ?