Vous avez fondé le Parti Rassemblement d’éveil gabonais pour l’action, la restauration et le développement (Regard). Quelles sont les valeurs fondatrices de votre mouvement, et pourquoi avoir choisi ce nom ?
Mathias Otounga Ossibadjouo : Le parti porte le nom Regard parce que, d’abord, notre ambition première est de faire en sorte que, désormais, nous suivions les dirigeants avec un nouveau regard, avec un regard plus attentionné et plus méticuleux. Vous savez, personnellement, j’ai été, avec d’autres, témoin du désarroi du président Ali Bongo quand il a constaté l’étendue des dégâts qu’avaient causé ses amis. Et, du coup, je me suis dit que si, à mon petit poste de l’époque, j’avais été plus regardant, peut-être que j’aurais pu attirer l’attention sur certains dérapages. Pour ne l’avoir pas fait, je me suis senti, et je me sens toujours, un peu co-coupable. Et donc, nous nous sommes dit, dans cette nouvelle aventure que nous engageons librement, qu’il faut que nous ayons un nouveau regard, un regard plus pointu. Et c’est d’ailleurs à partir de cette idée de regard que nous avons composé le nom du parti, qui finalement est le Rassemblement d’éveil gabonais pour l’action, la restauration et le développement. Voilà donc pourquoi le parti s’appelle Regard.
Après la démission du Parti démocratique gabonais, quel message souhaitez-vous faire passer avec la création de ce nouveau mouvement ?
Le message que nous souhaitons faire passer à travers la création de ce parti est simple. Le constat est que nous avons perdu beaucoup de temps et beaucoup de ressources dans la recherche du développement de notre pays. Notre pays a accusé un grand retard en dépit des potentialités réelles et malgré des mises en garde. Personnellement, j’ai, pendant longtemps, mis en garde et je n’ai pas du tout été entendu. Mieux, j’ai même été mis à l’index, viré du gouvernement, et j’ai dû claquer la porte du PDG avant les élections parce qu’on n’arrivait plus à se mettre d’accord avec la nouvelle direction politique. Nous nous sommes dit qu’il nous faut un nouveau dispositif politique, un nouvel instrument dans lequel notre voix serait plus audible pour ne pas avoir à dupliquer les erreurs du passé.
Vous avez, le week-end écoulé, apporté votre soutien à Brice Clotaire Oligui Nguema pour la présidentielle. Pourquoi estimez-vous qu’il soit la personne idéale pour porter cette candidature ?
Pourquoi, selon nous, le président Oligui serait le candidat incontournable ? Là encore, je vous dirais, en paraphrasant un homme politique, en l’occurrence le général de Gaulle, que l’histoire, ce n’est rien d’autre que la rencontre d’un homme et d’un événement. Force est de constater que le 30 août 2023, l’histoire du Gabon s’est résumée à la rencontre entre le général Oligui et son équipe, d’une part, et le peuple gabonais, d’autre part, comme je viens de l’expliquer plus haut. Alors, la question que je suis tenté de poser est : à quoi sert-il de nager à contre-courant de l’histoire ? J’explique que ces jeunes gens-là ont pris des risques énormes contre leur vie, contre la vie de leur conjoint, contre la vie de leur progéniture, contre leur propre carrière professionnelle, pour sauver le pays d’un désastre. Et aujourd’hui, on veut leur dire : prenez votre retraite anticipée, allez voir ailleurs. Je dis non, c’est un mandat qui leur revient.
Vous avez souligné l’importance de respecter la parole donnée et la continuité de l’action du CTRI. Quels sont, selon vous, les principaux défis à relever pour ancrer cette transition dans un cadre démocratique ?
Effectivement, ancrer la démocratie, ce n’est pas chose aisée. La démocratie suppose quelques petits prérequis. On en a entendu parler de certains. Je veux citer le dialogue, l’écoute, la tolérance, le pardon. Il faut une grandeur d’âme pour accepter la contradiction, pour respecter la parole qu’on s’est donnée démocratiquement, selon les formes. Pour respecter les lois que l’on s’est librement consenties. Et puis, continuer de construire le pays dans sa diversité. Donc, il va falloir que nous nous acceptions, avec nos différences, les uns les autres. Que nous acceptions les règles démocratiques, avec la règle principale qu’est l’élection et les résultats de l’élection. Je pense que, si la démocratie ne va pas sans développement économique, il faut diffuser le progrès à l’ensemble du territoire. Il faut rompre avec la dégringolade. Il faut se battre pour réunifier deux Gabon. Parce que, comme je l’ai dit, aujourd’hui, on assiste insidieusement à la naissance de deux Gabon qui ne se parlent plus : le Gabon d’en bas, fait de pauvres, et le Gabon d’en haut, fait de privilégiés et de richesse. Alors, il faut quelqu’un de la trempe du général Oligui pour rapprocher ces deux Gabon.
Quels sont les risques auxquels vous faites référence en dénonçant certains comportements déviants au sein du pouvoir actuel ?
Nous sortons d’une période caractérisée par la gabegie financière, la déliquescence de l’État, le népotisme, l’ethnisme et bien d’autres défauts que vous connaissez, que je n’ai pas besoin de citer ici.
La restauration de nos valeurs passe par l’abandon de ces pratiques. Et si, autour du président, nous ne saisissons pas cette occasion pour arrêter ou bien dénoncer les tentatives de résurgence de ces mauvais comportements, que j’appelle des anti-valeurs, eh bien, on risque de passer tout notre temps…
C’est comme si nous quittions l’ancien régime, que beaucoup qualifient d’enfer, et que nous voulions entrer dans un nouveau régime qui serait le paradis. Quand on quitte l’enfer pour le paradis, on passe par le purgatoire.
Nous avons donc quitté l’ancien régime, et quand on est dans le purgatoire, que fait-on ? On essaie de s’en départir pour renaître dans le paradis.
Nous avons quitté l’enfer, l’ancien régime ; nous sommes actuellement en transition, dans le purgatoire, et nous souhaitons entrer au paradis. Or, je constate que nous avons encore les défauts de l’enfer que nous voulons quitter. Nous ne pourrons jamais entrer au paradis si nous continuons à porter ces péchés.
C’est pourquoi j’invite le président du CTRI, ou le futur candidat – que je soutiens de tous mes vœux – à faire en sorte que, dans son entourage, il n’y ait pas d’autres porteurs de péchés qui pourraient entacher le paradis qu’il nous promet. C’est peut-être une idée forte, une image marquante. C’est peut-être une image trop forte, mais c’est à peu près cela.
Nous sommes en transition. Nous quittons une situation où l’on confondait la caisse de l’État avec sa poche personnelle. Nous ne pouvons pas entrer dans la nouvelle ère avec les mêmes comportements.
Nous quittons une période où il n’y avait de postes que pour les parents. Nous ne pouvons pas entrer dans une nouvelle situation en ne pensant qu’aux parents. Ce sont deux exemples forts que je donne. Mais attention aux errements : veillons et souhaitons que nous entrions dans le nouveau Gabon avec de nouvelles façons de faire, avec de nouvelles valeurs, des valeurs restaurées.