Le lundi 9 décembre 2024, un représentant du ministère de la Justice, un courageux, qui n’avait sans doute pas le choix, est venu annoncer à la télévision publique des poursuites judiciaires contre les activistes gabonais de la diaspora, sans les citer, faisant allusion aux Gabonais résidant en France qui critiquent virulemment le nouveau régime. Morceaux choisis :
« Le Ministre de la Justice, Garde des Sceaux constate, pour le déplorer, la recrudescence des discours diffamatoires, injurieux, d’incitation à la violence, à la révolte contre les autorités publiques et portant atteinte au prestige et à l’image des Institutions de la République, notamment à la Présidence de la République et à la personne du Chef de l’État. »
« conformément aux dispositions de l’article 17 du Code de procédure pénale, des instructions ont été données au Procureur de la République près du Tribunal de Première Instance de Libreville aux fins d’engager, sur le fondement des articles 88 et 157 du Code pénal, des poursuites individuelles contre ces compatriotes qui passent leur temps à vilipender les Institutions de la République. »
Non, vous ne rêvez pas ! Cela peut paraître invraisemblable, mais non, pas du tout. Parallélisme des formes : il s’agit quand même d’un pays qui a procédé à l’extradition d’un ressortissant camerounais, activiste, Ramon Cotta, à la demande du régime de Paul Biya, 90 ans, président du Cameroun depuis 1981, soit 43 ans au pouvoir.
Imaginez le ministre de la Justice — précision importante, le diable étant dans les détails — en charge des droits de l’homme et qui a lui-même subi les errements de la justice durant le règne d’Omar Bongo Ondimba, puis d’Ali Bongo, Paul-Marie Gondjout, appeler son collègue français pour demander une extradition d’un activiste gabonais pour diffamation envers le président Oligui Nguema ou toute autre personnalité dépositaire de l’autorité publique.
Vous imaginez le pays de la Révolution française, des droits de l’homme, où n’importe quel quidam peut se permettre de jeter des œufs au président Macron, écoper d’une peine de prison avec sursis assortie d’une amende, livrer un Jonas Moulenda ou tout autre activiste zélé opposant à la junte ?
Comment tout un cabinet d’un ministre de la Justice peut-il s’imaginer qu’une telle démarche puisse prospérer ou que les autorités françaises nous prennent au sérieux ? Ne riez pas, c’est sérieux.
Le précédent de Niemöller : une mise en garde intemporelle
Dans ce climat d’intimidation, il est utile de se rappeler les mots du pasteur Martin Niemöller :
« Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste.
Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate.
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste.
Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester. »
Aujourd’hui, ce sont les activistes de la diaspora qui sont visés. Demain, ce sera peut-être le tour des opposants politiques, des syndicalistes, des journalistes, des avocats, voire des citoyens ordinaires. Le silence et l’apathie face à ce genre d’agissements ne feront qu’encourager une dérive toujours plus autoritaire.
Hier, ils ont tondu et placé en garde à vue des syndicalistes de la Société d’énergie et d’eau du Gabon, parce qu’ils réclamaient le 13ᵉ mois et menaçaient de rentrer en grève. Il y a eu l’humiliation publique puis la brève arrestation de Gaétan Ernest Ayami, président du Regroupement des autochtones de Leyima et Lekogo 2 à Moanda. Son tort ? Être le porte-parole des populations de Leyima et Lekogo 2, en conflit avec la société minière Comilog.
Comment des gens qui ne bénéficient d’aucune légitimité démocratique, qui n’ont pas été élus, qui ont pris le pouvoir par un coup d’État peuvent-ils se comporter de la sorte ? Qu’en sera-t-il alors s’ils sont élus ?
La justice ne peut être un outil au service de l’arbitraire. Elle doit, au contraire, garantir les droits et libertés de tous, y compris des voix dissidentes. Sans cela, nous pouvons affirmer que nous avons alors raté « le coup de libération » du 30 août 2023, pour un pays des idéaux d’État de droit et de démocratie. Car nous avons l’impression que pour certains, il s’agit d’une simple vue de l’esprit.
Ce n’est pas une affaire d’activistes ou d’opposants. C’est une affaire de liberté. Et cette liberté, si elle n’est pas défendue aujourd’hui, pourrait bien disparaître pour tous demain. Pour cela, il faut donc que ceux qui sont au commande aujourd’hui arrêtent de diriger la République avec des émotions et des petits cœurs.