Il y a maintenant une semaine, les réseaux sociaux ont été inondés par les photos de 7 compatriotes, dont le trait commun était d’avoir subi la double infortune de passer 72 heures à la Direction Générale de la Contre-Ingérence et de la Sécurité Militaire (DGCISM), et d’en ressortir avec le crâne rasé. Spontanément, deux questions nous sont venues à l’esprit en prenant connaissance de ces faits largement commentés. La première est celle de savoir quelles infractions si graves ce septuor de la SEEG avaient commises au point de se voir privés de liberté pendant 3 jours. La seconde question d’ordre purement physiologique peut être ainsi formulée : pourquoi ce séjour au B2 s’est-il traduit pour ces personnes par la perte significative de leur capital capillaire ? Ces crânes si furieusement dégarnis, nous renvoyaient inexorablement aux images de notre enfance où, ce sont les prisonniers qui subissaient pareille atteinte à l’intégrité physique.
Notre propos se concentrant davantage sur la première question, évacuons d’emblée la seconde en considérant que ce qu’ont subi ces compatriotes n’est nullement justifiable. N’étant condamnés à aucune peine, et n’étant même pas poursuivis pour quelque motif que ce soit, comment admettre qu’ils soient ainsi traités. Cela parait d’autant plus incompréhensible que dans les images diffusées depuis le 30 août 2023, on a vu des anciens pensionnaires de la Prison centrale de Libreville, en sortir avec une capillarité parfois abondante. Et dire que les 7 salariés de la SEEG n’étaient pourtant pas des prisonniers, loin de là !
Certes, pourront arguer quelques-uns, comme nous l’avons entendu, nous sommes en état d’exception. Et alors, tout serait permis ? Pourrait-on leur rétorquer. Personne n’ignore le contexte dans lequel nous sommes aujourd’hui. Ceux-là oublient néanmoins que cet état d’exception est régi par des textes, ce que le CTRI lui-même a voulu. Au sommet de la hiérarchie de ces normes, la plus importante est, jusqu’à preuve du contraire, la Charte de la Transition. Dans le Préambule de celle-ci, on peut retenir ce qui suit : « Considérant les cas de violations répétées des Droits de l’Homme et des libertés individuelles et collectives, qui ont endeuillé des familles et causé des handicaps à des milliers de femmes et de jeunes gabonais en particulier ». Telle est l’une des raisons ayant justifié l’action salutaire des forces de défense le 30 août 2023 ! C’est pour cela qu’il faut prêter une attention particulière à deux dispositions contenues au Chapitre IV (Des libertés, devoirs et droits fondamentaux) du Titre 1er (Valeurs, principes et missions de la Transition) de la Charte de la Transition.
Il y a d’abord l’article 11 ainsi libellé : « Nul ne peut faire l’objet de torture, de peines ou de traitement cruels, dégradants ou inhumains ». Au vu de ce qui est précède, et au regard du séjour au B2 imposé au septuor de la SEEG, il est légitime de se demander quel était l’objectif poursuivi en décidant ainsi de réduire à néant la capillarité de quelqu’un. Ne s’agit-il pas d’une humiliation ? Ne renvoie-t-on pas de lui une image dégradante ?
L’article 12 va ensuite encore plus loin : « Nul ne peut être arrêté, inculpé, ni détenu que dans les cas prévus par la loi promulguée antérieurement à la commission de l’infraction qu’elle réprime. Les arrestations et détentions arbitraires sont interdites par la loi. Le droit à l’assistance d’un avocat est reconnu dès l’instant de l’interpellation ou de la détention. »
Chaque citoyen serait bien inspiré de méditer sur cette disposition qui, manifestement a été violée sans ambages. Evitons en effet que ne se reproduisent les errements et les ignominies du passé, causés par cette tentation d’ignorer superbement la loi, du fait de la certitude d’une toute puissance aveuglante et sans limite. Avec le spectacle que nous avons vu la semaine dernière, et les explications avancées pour justifier les arrestations des malheureux compatriotes, doit-on considérer que cet article est purement cosmétique dans la Charte ?
Les autorités de la Transition rappellent régulièrement, que l’acte posé le 30 août 2023 a vocation à permettre aux Gabonais de retrouver leur dignité. Sans discussion aucune, nous souscrivons tous, et avec enthousiasme à ce dessein. Or, alors que la parole s’est libérée dans le pays, arrêter des salariés, et surtout leur faire subir des traitements dégradants, est loin de participer à cet essor vers la félicité que tous les patriotes appellent de leurs vœux. Sauf à démontrer des raisons impérieuses de sécurité, rien ne peut justifier ce qui s’est passé.
Au-delà de cette indignation, la question de fond qui se pose est celle des raisons de ces arrestations. Laissons de côté, la piste suivante suggérée par Gabon Media Time du 11 décembre 2023 : « Toutefois, selon des informations relayées par le site d’actualité Gabonactu, ces convocations n’auraient aucun lien avec la crise liée au paiement du 13ème mois, mais aux dénonciations de malversation faite par les syndicalistes ». Nous nous en tiendrons seulement au volet relatif à la grève, vu que la menace de celle-ci a généré la situation que nous sommes en train d’analyser dans ces lignes.
I. L’exercice du droit de grève garanti par le Code du travail
Pour se prononcer sur la commission d’une quelconque infraction ou faute de la part des salariés de la SEEG, examinons le texte qui traite de la grève à savoir le Code du travail. L’article 15 de celui-ci dispose : « L’Etat garantit la liberté et l’exercice du droit syndical, de même qu’il reconnait le droit de grève ». Dès lors, il faut se demander si l’état d’exception résultant du Coup d’Etat du 30 août 2023 a un quelconque effet sur ce droit.
Dans la première déclaration du CTRI du 30 août 2023, s’il était question de la dissolution de toutes les institutions de la République, il n’était nullement fait mention d’une suspension du Code du travail. Le mois de septembre dernier a même été marqué par une expression de moult revendications des travailleurs. Combien de fois, n’a-t-on pas vu le ministre des transports s’investir personnellement dans la résolution d’un certain nombre de conflits collectifs ? Partant de là, rien ne saurait remettre en cause l’application de la loi n°022/2021 du 19 novembre 2021. Par voie de conséquence, les libertés collectives comme le droit de grève prévues par cette législation ne souffrent d’aucune remise en cause.
Il importe alors d’analyser la situation actuelle, au regard du Chapitre 2 (Des conflits collectifs de travail) du Titre VII (Des différends du travail) du Code du travail. Parmi les conflits collectifs, il y a la grève que l’article 379 du code précité définit ainsi : « La grève est l’arrêt concerté du travail par un groupe de travailleurs en vue de soutenir des revendications professionnelles déjà déterminées auxquelles l’employeur n’a pas donné satisfaction. Elle est une modalité de défense des droits et des intérêts professionnels, économiques et sociaux. »
Il ne nous appartient pas, pas plus qu’à quiconque, de juger de l’opportunité d’une grève sauf, si les raisons qui la motivent sont contraires à la loi en application de l’article 381 : « Sous réserve de la qualification du caractère illicite par le juge, sont illicites :
-la grève à caractère politique ;
-la grève déclenchée sans respecter le préavis indiqué aux articles 383 et 389 ci-dessous ;
-la grève avec violence, voies de fait, menaces, manœuvres dans le but de porter atteinte à l’exercice de l’industrie et à la liberté du travail ;
-la grève en violation du service minimum ;
-la grève intervenue en cours de négociation collective ;
-toute autre grève dont le but est différent de celui défini à l’article 379 ci-dessus ».
Les motifs de la présente grève sont contenus dans le préavis du Syndicat National des Travailleurs du Secteur de L’Eau et de L’Electricité (SYNTEE+) en date du 11 décembre 2023, dans les termes suivants :
« Considérant la NOTE D’INFORMATTON DG/23 n° 009 relative à l’ajournement de la gratification 2023 en flagrante violation des dispositions de la Convention Collective en son article A.50 qui stipule que « une gratification de fin d’année, versée au mois de décembre, est accordée à tout agent de la société. Le montant de cette gratification, laissé à la discrétion de la Direction Générale, est déterminé en fonction du comportement de l’agent dans l’exercice de ses fonctions, suivant les appréciations du chef d’unité. Pendant la période où l’agent occupe son poste, le taux de gratification ne peut être inférieur à 1,2 mois de salaire prorata temporis ».
Les revendications contenues dans ce préavis sont bien d’ordre professionnel, conformément à l’article 379 du Code du travail. De ce fait, il ne peut être fait le reproche aux salariés d’exercer leur droit de grève de manière abusive. Par contre, on peut se demander pourquoi les moyens que prévoient le Code du travail pour prévenir ce conflit collectif n’ont pas été sollicités. L’article 383 de la législation du travail dispose : « Le déclenchement de la grève doit être précédé d’un préavis déposé par le syndicat le plus représentatif du groupe des travailleurs en conflit ou, en l’absence de syndicat, par les représentants du groupe des travailleurs en conflit. Lorsque le préavis émane des représentants du groupe des travailleurs en conflit, ces derniers doivent justifier du mandat reçu des travailleurs.
Le préavis doit préciser les motifs du recours à la grève et doit parvenir dix (10) jours francs avant le déclenchement éventuel de la grève à la direction de l’entreprise ou de l’organisme intéressé et à l’inspection du travail du ressort. Il mentionne le champ géographique et l’heure du début ainsi que la durée limitée ou non, de la grève envisagée.
Le préavis ne fait pas obstacle à la négociation en vue du règlement du conflit »
L’article 384 précise lui que : « Pendant la durée du préavis, les parties concernées doivent tout mettre en œuvre pour rechercher le compromis ». Néanmoins, le préavis étant daté du 11 décembre, et le séjour au B2 étant intervenu presque concomitamment, on peut se demander si finalement le sujet central est l’exercice du droit de grève.
II. La traque de l’intentionnalité par le B2
La réflexion que l’on peut se faire ici est que finalement, même si les salariés ont respecté la procédure prévue par le Code, il aurait été possible, à défaut de stopper cette grève, du moins de l’ajourner, et cela sans passer par la case B2, qui, au passage n’a pas empêché le préavis de prospérer. Dans le cas contraire, on aurait pu dénoncer une entrave au droit de grève.
Plutôt que de convoquer des salariés pour des interrogatoires, la solution en sagesse et en droit est d’appliquer l’article 393 du Code du travail. Il y est énoncé que : « Dans les entreprises privées, l’inspecteur du travail du ressort informé d’un différend collectif par la partie la plus diligente, convoque les parties dans les plus brefs délais en vue de procéder à la conciliation.
L’ouverture des négociations par l’inspecteur du travail entraine la suspension du mouvement de grève déclenché par les travailleurs, s’il y a lieu. »
Pourtant, et c’est là que l’on atteint l’ubuesque, il apparaît nettement que toute cette agitation qui a conduit à l’arrestation du septuor de la SEEG ne reposait que sur des menaces de grève. Le préavis de grève n’a en effet été établi que le 11 décembre 2023, et déposé le même jour à la Direction de la SEEG, puis le 18 décembre à la Direction provinciale du travail, à la Présidence de l’Assemblée Nationale, à la Présidence du Sénat, à la Primature, et à la Présidence de la République. Le média en ligne Gabonactu rapporte ce qui suit :
« Selon une source bien informée, les leaders des deux principaux syndicats de la SEEG, Syndicat national des travailleurs du secteur eau et électricité (SYNTHEE+) et Syndicat du personnel du secteur eau et électricité du Gabon (SYPEG), ont été invités à se rendre à la présidence de la République pour négocier.
Arrivés à un poste de police, selon l’informateur de Gabonactu.com, tous les syndicalistes non correctement vêtus (costume cravate) ont été renvoyés. Seuls 7 d’entre eux remplissaient les critères soit 4 adhérents du SYNTHEE+ et 3 adhérents du SYPEG. Après ces formalités, les 7 syndicalistes ont directement été conduit au B2 où ils sont retenus. » (Gabonactu 12 décembre 2023, « Les 7 syndicalistes de la SEEG victimes d’un traquenard tendu par le B2 », https://gabonactu.com/les-7-syndicalistes-de-la-seeg-victimes-dun-traquenard-tendu-par-le-b2/ )
On ne serait donc plus ici dans l’exercice du droit de grève, mais l’on verserait alors dans le délit d’opinion. Qu’ont fait ces salariés, si ce n’est annoncer qu’ils se mettraient en grève si leurs revendications ne peuvent pas être satisfaites ? Pourtant, l’application de l’article 8 de la Charte de la transition doit permettre d’éviter toute dérive de ce genre : « Les libertés et droits fondamentaux sont reconnus et leur exercice est garanti aux citoyens dans les conditions et les formes prévues par la loi. Aucune situation d’exception ou d’urgence ne doit justifier les violations des droits humains. »
Il est d’ailleurs curieux et navrant, de relever qu’un syndicat ait cru bon de présenter des excuses aux Chef de l’Etat, renouant ainsi avec un larbinisme que l’on pensait ranger aux oubliettes de notre histoire. Nous faisons notre ce que dit ici le philosophe Jankélévitch : « L’excuse excuse, c’est-à-dire qu’elle procure des raisons dans le but d’atténuer la faute ». Or, ce que nous avons montré dans ces lignes, c’est qu’aucune faute n’a été commise par qui que ce soit, sauf à considérer une fois de plus, que la menace d’engager une grève peut valoir une incarcération au B2. Sans que ce soit le propos ici, il est permis également de s’interroger sur les attributions, et le périmètre d’action de cette administration, la restauration des institutions passe aussi par là.
Quelques compatriotes ont bien considéré que finalement, « c’était bien fait » pour les salariés de cette SEEG qui concentre déjà sur elle un certain nombre de critiques justifiées par ailleurs. Pourtant, une fois de plus, faire confiance à la loi suffirait aisément pour aplanir nombre de difficultés, et les pythonisses n’y pourraient pas grand-chose. Rien n’indique en effet que la grève annoncée aura lieu, ni que les coupures d’électricité ou les ruptures d’approvisionnement en eau seront effectives parce qu’une fois de plus, le droit ne permet pas tout.
III. L’encadrement du droit de grève dans le cas de la SEEG.
Ce qui a mis le feu aux poudres dans cette affaire, c’est la menace de suspendre les services d’eau et d’électricité. Or, en cette matière comme dans bien d’autres, il faut savoir raison garder. L’article 385 du Code du travail limite fortement les désagréments causés par la grève dans les termes suivants : « Un service minimum obligatoire est requis pour toutes les entreprises lors du déclenchement d’un mouvement de grève.
Le service minimum vise à éviter des dommages irréversibles et qui pourraient compromettre gravement les intérêts professionnels des parties concernées, ainsi qu’à pourvoir aux besoins dont la non satisfaction pourrait mettre en danger la santé, la sécurité ou la vie des populations ou constituer une menace pour tout ou partie de l’économie nationale.
En cas de grève dans les entreprises dont l’arrêt total des activités est de nature à porter atteinte à la sécurité et à la santé publique, à l’accès aux soins, à l’accès à l’eau et à l’électricité, à l’équilibre de l’économie nationale, le préavis de grève doit obligatoirement être accompagné des jours et heures d’exécution minimal du service minimum journalier, ainsi que le personnel astreint à cette obligation de service minimum. Il s’agit notamment des entreprises exerçant dans les secteurs suivants :
-les établissements hospitaliers et d’enseignements ;
-les entreprises de fourniture d’électricité et d’approvisionnement en eau potable ;
(…) Ce service minimum doit obligatoirement être de 40% de l’activité reparti sur la journée en dehors des heures de pause.
Dans les entreprises à cycle continu, ce service minimum doit permettre le maintien minimum des activités de l’entreprise.
Il est interdit aux travailleurs grévistes de faire obstruction au respect de ce service minimum en empêchant les autres travailleurs d’assurer normalement le service minimum sous peine de sanctions prévues par les textes en vigueur ».
Concrètement, cela signifie que les agents de la SEEG ne peuvent pas priver totalement la population d’eau et d’électricité. Les mauvais esprits diront que, dans des localités comme Lambaréné, Fougamou ou encore Ndjolé, voire même à Libreville pour ce qui est de l’eau, le service de la SEEG est déjà au minimum. En pareille occurrence, la grève ne pourrait éventuellement permettre qu’une chose : garantir ce minimum.
L’autre raison pour atténuer le risque de grève se trouve dans la publication du 18 décembre 2023, du média en ligne Vatricof-Gabon qui titre : « Le 13e mois sera bel et bien payé, si l’on en croit le directeur général ». Il en ressort que, toujours selon le média susmentionné, « La menace de grève qui planait sur la société d’énergie et d’eau du Gabon finalement écartée. Avec les assurances données par son directeur général quant au paiement des gratifications mieux du 13ème mois. ».
Au final, on pourrait se dire : « tout ça pour ça ! » Au-delà de cette formule lapidaire, c’est surtout l’occasion que chacun s’empare réellement des dispositions du Code du travail qui sont à même de prévenir nombre de conflits, que l’on pourrait éviter dans la période que nous traversons. Il n’y a certainement pas lieu de céder à la tentation des lois d’exception que l’on entend parfois chez certains. L’essor vers la félicité, refrain en vogue depuis le 30 août, ne saurait souffrir des restrictions de droits ou de libertés garanti par l’article 11 du Code du travail : « Toute renonciation, limitation ou cession par voie d’accord ou autre des droits reconnus aux travailleurs par la présente loi est nulle et de nul effet sauf les cas de rupture amiable et transactionnelle librement convenus entre les parties prévues par la présente loi. »
Il est donc plus que jamais nécessaire d’encourager la pratique du dialogue social. En cette période de Transition, il appartient aux partenaires sociaux de jouer pleinement leur rôle, et d’être de véritables forces de proposition. En ont-ils seulement les moyens et la capacité ? Seule l’avenir nous le dira.